Nvidia redessine la carte de l’IA : comment réagir ?
Capex ou cloud, une bascule sous l’effet Nvidia
Nvidia pousse une stratégie d’investissements qui recompose l’offre IA et rebat les cartes d’approvisionnement GPU. Pour une entreprise, cela change la négociation des contrats, la planification CAPEX versus cloud et la façon de limiter le lock-in, avec des effets immédiats sur le coût par inférence et par heure GPU. Dans les faits, la puissance de feu financière de Nvidia devient un facteur exogène de vos coûts et de votre résilience opérationnelle.
Nvidia met la main sur les nœuds de valeur de l’IA
En 2025, Nvidia a participé à 50 opérations de capital-risque, dépassant déjà son total 2024, avec l’objectif affiché de financer des startups jugées game changers et market makers (panorama détaillé) . Le groupe a multiplié les tickets majeurs: OpenAI (100 M$ en 2024 et un partenariat pour déployer jusqu’à 10 GW d’infrastructures Nvidia, premier gigawatt prévu au S2 2026 sur la plateforme Vera Rubin), xAI (jusqu’à 2 Md$ via SPV), Reflection AI (2 Md$), Thinking Machines Lab (2 Md$), Figure AI (Série C >1 Md$) et Wayve (>1 Md$) (OpenAI–Nvidia 10 GW) ; (TechCrunch sur les deals) .
Côté infrastructure cloud, Nvidia soutient des acteurs clés d’accès aux GPU : Lambda (480 M$, valo 4 Md$), Together AI (305 M$, partenaire cloud Nvidia), et CoreWeave, dont Nvidia détient 3 Md$ de participation et qui a été le premier à offrir la carte RTX PRO 6000 Blackwell Server Edition à l’échelle (annonce CoreWeave) ; (Lambda lève 480 M$) ; (Together AI partenaire cloud Nvidia) . Le message est clair : Nvidia investit dans les modèles, les plateformes et le cloud, structurant les canaux d’accès aux GPU autant que les usages.
Sur la disponibilité et les prix, le tableau est nuancé. Nvidia a démenti en septembre 2025 que les H100/H200 soient épuisés et indique pouvoir accepter de nouvelles commandes (clarification H100/H200) . En revanche, les GPU Blackwell seraient déjà sold out pour les 12 prochains mois selon Morgan Stanley (analyse disponibilité Blackwell) . Côté tarifs, l’heure d’un H100 SXM varie d’environ 2,25 $ chez des fournisseurs alternatifs à 11,06 $ chez certains hyperscalers, une dispersion qui ouvre des économies de 70–80% selon les choix de sourcing (comparatif de prix GPU) ; (analyse de marché des prix GPU) .
Le véritable enjeu pour l’entreprise: coûts, dépendance et options de sourcing
Pour la DSI et la direction générale, l’effet de ciseau est double. D’un côté, les coûts d’inférence se sont effondrés : pour un système de classe GPT‑3.5, le coût par inférence aurait chuté d’environ 280 fois entre fin 2022 et fin 2024, grâce aux modèles plus efficients et aux optimisations hardware (analyse des coûts d’inférence 2025) ; (AI Index 2025) . De l’autre, la pression sur certaines générations de GPU, les files d’attente et les différences de SLA imposent un arbitrage serré entre disponibilité, coût et performances.
Sur le cloud, les frais d’egress pèsent souvent 10–15% de la facture selon Gartner, et environ 6% des coûts de stockage selon IDC ; des cas emblématiques citent des dizaines de millions par an uniquement pour sortir la donnée (décryptage egress et lock-in) ; (analyse Backblaze sur le lock-in) . Cela rend crédible une stratégie multi‑cloud par défaut : 86% des entreprises opèrent déjà en multi‑cloud pour limiter le lock‑in et optimiser les coûts (guide multi‑cloud 2025) .
Côté SLAs, il existe un écart notable entre offres. AWS EC2 propose un SLA d’availability de 99,5% par instance zonale et jusqu’à 99,99% au niveau régional, alors que Nvidia DGX Cloud annonce 99% de Service Availability et 95% de Capacity Availability mensuels (référentiel SLA EC2 et enjeux) ; (SLA Nvidia Cloud Services) . Pour un service de production, cela doit se traduire dans les clauses : pénalités, crédits de service, redondance multi‑zones et délais de rétablissement.
Enfin, la politique partenariale de Nvidia influence l’accès aux composants de dernière génération. Le programme Nvidia Partner Network et ses Cloud Partners référencent des architectures optimisées pour l’IA et des designs de référence (programme Cloud Partners) ; (NPN) . Concrètement, signer avec un partenaire labellisé peut accélérer le time‑to‑GPU et la mise en conformité des stacks, mais augmente la dépendance à l’écosystème CUDA et aux cycles de renouvellement Nvidia.
Lire entre les lignes: gigawatts, structures financières et risque de lock-in
Le partenariat OpenAI–Nvidia, avec jusqu’à 10 GW de systèmes Nvidia et un premier gigawatt annoncé pour le S2 2026, est un signal fort de consolidation de la demande sur quelques pipelines d’approvisionnement (communiqué OpenAI–Nvidia) . Pour les entreprises, cela signifie deux choses : la visibilité à moyen terme sur les capacités installées progresse, mais la priorité de livraison peut se polariser vers les méga‑clients, compliquant la planification pour des volumes intermédiaires.
La créativité financière s’installe aussi côté IA. La levée de xAI via un SPV de près de 20 Md$, combinant 7,5 Md$ d’equity et 12,5 Md$ de dette, illustre des montages où le SPV acquiert les GPU pour les louer sur 5 ans, maintenant la dette hors bilan de l’opérateur et sécurisant un actif revendable en cas d’obsolescence (décryptage SPV xAI) . Pour une DSI, ces schémas invitent à explorer le leasing ou des accords de colocation avec clause d’upgrade, plutôt que l’achat sec de lots de GPU.
Sur l’évolution technologique, l’AI Index 2025 note que la compute de training double tous les 5 mois, que les datasets doublent tous les 8 mois, et que l’écart de performance entre le top modèle et le 10e s’est réduit à 5,4%, avec seulement 0,7% entre les deux premiers (AI Index 2025) . Cette convergence renforce l’intérêt des modèles open‑weight compétitifs, susceptibles de réduire la facture d’inférence et de limiter la dépendance à des API propriétaires.
La réalité du lock‑in côté logiciel reste toutefois saillante : l’écosystème CUDA est un fossé défensif majeur, avec des coûts de transition non négligeables, même si des alternatives comme AMD ROCm ou Intel oneAPI progressent (analyse stratégique CUDA) . Dans les contrats, cela appelle des clauses sur la portabilité de code et la compatibilité multi‑vendor, ainsi que des preuves de faisabilité via POC indépendants.
Côté prix et supply, les signaux sont contrastés. Les H100/H200 ne seraient pas épuisés et de nouvelles commandes restent possibles, tandis que Blackwell est annoncé saturé sur 12 mois (disponibilité H100/H200) ; (saturation Blackwell) . L’écart de prix horaire entre fournisseurs alternatifs et hyperscalers, parfois de 4 à 5x, invite à des stratégies de répartition de charge et de réservations échelonnées pour lisser les coûts et sécuriser des créneaux d’entraînement (comparatif prix GPU) ; (baromètre prix et disponibilité) .
Points de vigilance contractuels et opérationnels
- Clauses SLA: exiger des engagements d’availability, de capacité et de rétablissement, avec crédits de service proportionnels à l’impact. Comparer les offres (99,5%/99,99% EC2 vs 99%/95% DGX Cloud) et prévoir la redondance multi‑zones (analyse SLA GPUaaS) ; (SLA Nvidia) .
- Coûts d’egress: plafonner contractuellement, négocier des tranches gratuites et des exemptions sur flux IA critiques. Anticiper 10–15% de la facture cloud en egress dans les modèles (étude egress) .
- Capex vs leasing: privilégier des options de location ou d’upgrade pour éviter l’obsolescence rapide et caler les dépenses au rythme des releases (exemples SPV/lease dans l’écosystème xAI) (analyse SPV xAI) .
- Portabilité: intégrer des obligations de support multi‑framework et des tests de bascule vers alternatives (ROCm/oneAPI) pour réduire le risque CUDA‑moat (analyse CUDA) .
- Approvisionnement: sécuriser des réservations scalaires sur H100/H200 en 2025–2026 et prévoir des plans de contingence si Blackwell reste saturé 12 mois (disponibilité GPUs) .
Vos KPI à instrumenter dès maintenant
Pour piloter, privilégiez des métriques comparables et actionnables. Le coût par inférence et par heure GPU doivent être suivis au niveau du service et du lot de job, avec des bornes cibles par type de modèle. La latence, la disponibilité observée et la capacité délivrée doivent être corrélées aux SLAs, en particulier lors des pics de demande. Enfin, la dépendance fournisseur doit être mesurée comme un ratio: part de vos workloads non portables hors CUDA, nombre de fournisseurs qualifiés pour un même profil de GPU, et coût total de bascule estimé.
Dans ce cadre, les tendances macro restent porteuses: hardware en baisse d’environ 30% par an, efficacité énergétique en hausse de 40% par an, et rapprochement rapide des performances entre modèles open‑weight et fermés (analyse coûts et performances 2025) ; (AI Index 2025) . Cela valide des stratégies mixant des modèles ouverts pour certaines tâches et des modèles propriétaires ou spécialisés pour d’autres, selon les contraintes de qualité, coût et conformité.
Synthèse actionnable pour la DSI et la direction
La stratégie d’investissements de Nvidia structure désormais l’accès aux GPU et aux partenaires clés de l’IA, avec des effets immédiats sur disponibilité, coûts et clauses contractuelles. Pour sécuriser vos feuilles de route, combinez multi‑cloud maîtrisé, réservations échelonnées H100/H200 et options de leasing, en exigeant des SLAs alignés à vos objectifs métier. Industrialisez enfin le suivi des KPI coûts/latence/dépendance et formalisez des chemins de sortie technique pour réduire le lock‑in sans sacrifier la vitesse d’exécution.