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IA et voyages : des itinéraires qui inventent des sites

Vacances à l’ère de l’IA, quand la promesse déraille

L’usage de l’IA pour planifier ses vacances progresse, mais la fiabilité n’est pas au rendez-vous. Des voyageurs se retrouvent à chercher des sites qui n’existent pas, avec des conséquences concrètes pour leur sécurité et pour les marques impliquées. Pour les entreprises du tourisme, des plateformes de réservation et les éditeurs de chatbots, le sujet touche à la qualité des données, à la conformité et au risque réputationnel.

De faux canyons aux téléphériques imaginaires : incidents récents et documentés

Au Pérou, un guide a raconté avoir croisé deux voyageurs partis seuls vers un prétendu Canyon sacré d’Humantay, une destination inexistante produite par un chatbot, mélange de lieux réels sans lien. L’anecdote, rapportée dans la presse internationale en 2024–2025, illustre un type d’hallucination qui peut mettre des personnes en danger en haute altitude. Au Japon, un couple a suivi un horaire de téléphérique erroné pour le mont Misen et s’est retrouvé bloqué au sommet à la nuit tombée. En Malaisie, des touristes ont roulé des heures pour un téléphérique aperçu en vidéo, qui s’est révélé être une création générée par IA.

Ces épisodes ne sont pas isolés. Une analyse de SEO Travel sur des itinéraires urbains générés par un grand modèle de langage conclut que 90 % des programmes contenaient au moins une erreur factuelle, des horaires faux à la mention d’établissements fermés en passant par des lieux inexistants. L’étude est publique et détaillée, avec typologies d’erreurs et méthodologie (analyse SEO Travel). Dans la presse spécialisée voyage, des conseils d’usage rappellent que la précision pratique de l’IA demeure limitée, souvent estimée entre 70 et 80 % pour les informations générales que les outils agrègent, d’où la nécessité de vérifier systématiquement auprès de sources primaires (National Geographic, guide d’usage IA et voyages).

Dans les faits, les hallucinations ne se signalent pas comme telles. La prose est fluide, l’assurance est forte, et les urls ou horaires fictifs sonnent vrai. C’est précisément ce vernis de plausibilité qui piège des voyageurs, mais expose surtout les marques qui relaient ces réponses au sein de leurs applications.

Ce que cela change pour les entreprises du voyage, du numérique et des territoires

Côté entreprises, le risque est double : perte de confiance client et exposition juridique. Les plateformes de réservation, OTA, comparateurs, DMC et offices de tourisme qui intègrent des assistants conversationnels engagent leur responsabilité perçue si l’agent IA recommande des lieux dangereux, inexistants ou une interprétation erronée des formalités. Le coût réputationnel peut être élevé, et la relation commerciale écornée par des remboursements et avoirs.

L’enjeu data est central. Les modèles généralistes n’ont pas vocation à garantir l’actualité des horaires, statuts d’ouverture ou contraintes d’accès. Si un bot conseille un restaurant fermé ou un téléphérique arrêté, la cause tient souvent au décalage temporel des données. Les acteurs qui s’en remettent à des LLM bruts pour de la recommandation locale prennent un risque opérationnel évitable.

Sur le plan réglementaire, le cadre européen renforce les obligations de transparence et de gestion des risques pour les systèmes d’IA, y compris les modèles à usage général. L’AI Act, entré en vigueur, pousse les déployeurs à évaluer et mitiger les risques systémiques, avec des obligations étagées selon la criticité (portail européen sur l’IA). Pour un acteur du voyage, documenter les contrôles de qualité, tracer les sources et fournir des avertissements clairs aux usagers devient une bonne pratique et un garde-fou de conformité.

Concrètement, la réponse de marché prend forme autour de trois axes. D’abord, des pipelines de données vérifiées, branchés sur des sources officielles et à jour (bases locales d’attractivités, GTFS des transports, calendriers d’événements). Ensuite, l’architecture RAG, qui limite le hors-piste des LLM en cantonnant les réponses à un corpus curaté (fiche RAG par Microsoft Learn). Enfin, un dispositif d’escalade et de validation humaine, notamment pour les conseils qui touchent à la sécurité, aux réglementations frontalières et aux activités en milieu isolé.

Pourquoi les modèles hallucinent et comment sécuriser le parcours

Les LLM prédisent des mots plausibles, pas la vérité. Ils combinent des fragments vus dans leurs corpus et peuvent inventer des entités cohérentes en langue mais inexistantes dans le monde. D’où ces chimères toponymiques ou ces créneaux horaires crédibles mais faux. Leur tonalité assurée masque l’incertitude, et l’utilisateur interprète la réponse comme prescriptive.

Au-delà de l’algo, le problème est data. La recommandation touristique exige des données très fraîches, géolocalisées, parfois saisonnières et dépendantes de micro-régulations. Un modèle généraliste, figé lors de son entraînement, ne peut pas garantir cette fraîcheur s’il n’est pas relié à des sources dynamiques. Les environnements hybrides, où l’IA convoque des bases référentielles contrôlées et horodatées, réduisent nettement le taux d’erreurs. La France a d’ailleurs structuré Datatourisme, base nationale interopérable des points d’intérêt et événements, utilisée par divers outils et destinations (Datatourisme).

Pour les éditeurs, l’enjeu n’est pas seulement technique. C’est un design de service. Les interfaces doivent expliciter le statut de la réponse (inspiration vs information contractuelle), afficher les sources et proposer un clic de vérification officielle pour les points sensibles : vis à vis des frontières et visas, des horaires d’infrastructures critiques, des alertes sécurité et des conditions d’accès en montagne ou littoral. Les flux doivent être observables, avec des logs d’inférences et un monitoring des erreurs signalées par les usagers.

Côté performance, la réduction des hallucinations passe par des garde-fous connus : RAG avec top-k limité et filtres de similarité, prompts contraints, gabarits de réponse, interdicteurs métiers (ne jamais suggérer un site si l’entité n’est pas résolue en base), et surtout une politique de références obligatoires. Sans source fiable, la réponse doit basculer vers une formulation d’incertitude ou une redirection vers un agent humain.

Les études disponibles confirment l’ampleur du problème. L’analyse SEO Travel évoque 90 % d’itinéraires contenant au moins une erreur factuelle et détaille la fréquence des horaires faux et des lieux fermés. Les guides pratiques grand public recommandent, prudemment, de considérer l’IA comme un outil de débroussaillage plutôt qu’une source autoritative, avec un taux de précision jugé insuffisant pour se passer de vérifications (National Geographic, guide d’usage IA et voyages). Ce diagnostic rejoint le vécu des opérateurs de terrain, confrontés à des voyageurs mal aiguillés jusque dans des zones isolées.

Enfin, l’environnement réglementaire évolue. Au-delà de l’AI Act, la pression consumériste monte : si un site de réservation intègre un agent IA qui fournit une recommandation dangereuse, l’argument du fournisseur tiers pèsera peu face à la perception d’un défaut de diligence. Les directions juridiques et conformité ont intérêt à cadrer les disclaimers, les parcours de preuve et les plans de remédiation.

Points de vigilance

  • Connecter l’agent à des bases officielles à jour et tracer toutes les sources citées.
  • Imposer RAG et règles métiers pour bloquer les réponses non vérifiables.
  • Afficher l’incertitude et proposer un contact humain sur les sujets critiques.
  • Évaluer les risques IA et documenter les contrôles au regard de l’AI Act.
  • Instrumenter le feedback utilisateur et corriger les erreurs en temps réel.

Passer d’une IA d’inspiration à une IA de confiance

Les hallucinations dans la planification de voyages ne sont pas un épiphénomène, mais un défaut structurel des LLM lorsqu’ils opèrent sans garde-fous. La réponse ne consiste pas à bannir l’IA, mais à l’encadrer : données certifiées, RAG, supervision humaine et transparence. Les acteurs qui industrialisent ce modèle mixte gagneront en confiance utilisateur et en conformité, tout en capitalisant sur les gains d’efficacité de l’IA.

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