Nvidia investit massivement dans l’IA : faut-il revoir votre stratégie GPU ?
Un basculement discret de la chaîne d’approvisionnement IA
Le rythme des annonces autour des puces d’IA s’accélère, et avec lui la redistribution des cartes côté achats technologiques. En multipliant prises de participation et partenariats, nvidia influence désormais autant l’accès aux GPU que la forme des contrats et la topologie des datacenters. Pour les DSI et directions achats, l’enjeu est immédiat : sécuriser la capacité, contenir les coûts et éviter un verrouillage fournisseur qui fragilise la continuité d’activité.
Nvidia, de l’investissement au standard d’infrastructure : ce qui s’est passé
Depuis début 2025, Nvidia a déjà participé à 50 opérations de capital-risque, dépassant son total 2024, avec NVentures passé de 1 deal en 2022 à 21 en 2025 selon la presse technologique ( TechCrunch ). L’entreprise annonce aussi un engagement de 2 milliards de livres pour l’écosystème britannique des startups IA, soulignant la volonté d’ancrer des relais de croissance régionaux. L’élément majeur reste l’accord stratégique avec OpenAI pour déployer au moins 10 gigawatts de systèmes Nvidia, avec un premier gigawatt attendu au second semestre 2026 et un investissement progressif pouvant atteindre 100 milliards de dollars au fil des étapes. OpenAI, qui revendique plus de 700 millions d’utilisateurs hebdomadaires, devient un consommateur structurant des futures « usines d’IA » de Nvidia, basées sur l’architecture Vera Rubin.
Dans le même temps, Nvidia a investi jusqu’à 2 milliards de dollars dans xAI. La structure financière mise en place, via un véhicule de dette dédiée sur cinq ans, permet à xAI de louer des GPU Nvidia avec protection contre l’obsolescence, transformant une part de l’investissement en demande garantie de matériel. Côté build vs buy, les acquisitions de Run:ai (orchestration GPU sur Kubernetes) et Deci AI (optimisation de modèles) renforcent le contrôle de Nvidia sur la couche logicielle et l’optimisation d’usage des ressources, au-delà du silicium.
La société tisse enfin des alliances industrielles pour sécuriser la fabrication et le réseau. Un partenariat avec Intel inclut un investissement de 5 milliards de dollars et l’utilisation de la fonderie d’Intel pour des CPU x86 conçus par Nvidia, avec une collaboration annoncée autour de NVLink. Sur le front de la capacité cloud, un accord engage Nvidia à racheter la capacité inutilisée de CoreWeave jusqu’en 2032, mécanisme d’assurance qui réduit l’aléa de sous-utilisation côté partenaire et peut, à terme, prioriser certains flux de GPU.
Sur le plan technologique, Nvidia pousse l’architecture de rack Vera Rubin NVL144, refroidie entièrement par liquide, et annonce une contribution au standard ouvert de l’Open Compute Project. L’entreprise mobilise un écosystème de partenaires autour d’une infrastructure 800 volts DC, censée réduire les coûts de cuivre et améliorer l’efficacité énergétique, avec des premiers sites pilotes comme le datacenter de 40 MW de Foxconn à Kaohsiung.
Rééquilibrant le rapport de force du marché, les concurrents avancent leurs pions. OpenAI a signé un partenariat pluriannuel avec AMD pour environ 6 gigawatts de GPU Instinct, assorti d’un warrant sur 160 millions d’actions AMD conditionné à des jalons de déploiement. Cette diversification côté acheteur souligne que la bataille de l’IA se joue autant sur la disponibilité et le coût total que sur la performance brute.
Références clés : l’annonce du partenariat OpenAI–Nvidia à 10 GW est détaillée par OpenAI , le panorama des investissements par TechCrunch , l’alliance avec Intel par les communiqués des deux entreprises, et l’accord de capacité avec CoreWeave par RCR Wireless .
Pour les DSI et achats : disponibilité, coûts et arbitrages cloud/on‑prem
Dans les faits, ces mouvements d’investissement réorientent les flux d’approvisionnement. Les startups financées et les grands partenaires de Nvidia pourraient bénéficier de priorités d’allocation, impactant la latence d’accès aux GPU pour les autres clients. Les coûts suivent une trajectoire tendue : un H100 se négocie autour de 25 000 à 31 000 dollars selon configuration, et un système multi‑GPU peut dépasser 400 000 dollars. À cela s’ajoutent réseau InfiniBand, alimentation, refroidissement et racks, dont le coût peut égaler, voire dépasser, celui des GPU eux‑mêmes, selon les analyses de prix sectorielles.
Côté cloud, la facture est lisible à l’heure mais variable selon fournisseurs et disponibilité. Des H100 80 Go se louent typiquement entre 2,00 et 2,95 dollars l’heure, quand l’offre AWS p5.48xlarge (8 H100) est facturée 98,32 dollars l’heure à la demande. Des places de marché comme VastAI ou RunPod proposent des tarifs compétitifs sur des instances interruptibles, au prix d’un risque d’éviction. Les comparaisons de TCO publiées montrent que, à utilisation contrôlée, le cloud peut économiser environ 50 % sur trois ans face à un petit cluster on‑premis A100, mais le point d’équilibre bascule en faveur du on‑premises à haute intensité d’usage, autour de 14 à 18 mois selon la charge.
Pour les directions financières, ces chiffres imposent une segmentation fine des cas d’usage. Les entraînements volumineux ou les charges continues favorisent des engagements réservés (cloud ou colocation) voire l’on‑premises, tandis que l’expérimentation ou les charges par pics s’accommodent mieux d’un mix multi‑cloud. Les SLAs doivent être lus de près : DGX Cloud affiche 99 % de disponibilité de service et 95 % de disponibilité de capacité mensuelle ; les remèdes sont généralement limités à des crédits. En clair, la continuité d’activité repose autant sur le multirégion et le multi‑fournisseur que sur la seule signature du SLA.
Le volet logiciel pèse désormais dans le budget. Les GPU H100/H200 incluent souvent un abonnement de 5 ans à Nvidia AI Enterprise, avec options BYOL sur des clouds certifiés. La portabilité des licences et le niveau de support (Business Standard vs Business Critical) doivent être alignés sur l’appétence au risque opérationnel des métiers.
Ce que change l’offensive Nvidia pour la gouvernance d’infrastructure
En orientant capital et produits vers des « usines d’IA » intégrées, Nvidia accélère la standardisation de facto de sa pile matérielle, logicielle et réseau. À court terme, cette cohérence peut simplifier l’ingénierie et réduire la dette d’intégration. À moyen terme, elle augmente le risque de dépendance fournisseur, surtout si l’orchestration, l’optimisation de modèles et la connectivité matérielle sont toutes verrouillées chez le même acteur.
Pour y répondre, certaines organisations structurent une stratégie « multi‑silicium » qui dissocie les workloads par profil et contraintes. Les entraînements gros modèle peuvent cibler Nvidia pour des raisons d’écosystème, pendant que des inférences ou des modèles spécialisés migrent vers AMD ou des accélérateurs alternatifs, selon les roadmap et les offres régionales. Les hyperscalers poursuivent d’ailleurs leur diversification, et des contrats comme celui entre OpenAI et AMD indiquent que la performance perçue n’est plus l’unique critère : l’accès garanti, le coût et le délai de livraison pèsent autant.
Sur le terrain, trois chantiers deviennent prioritaires. Premier chantier, le sourcing hybride: associer cloud généraliste, fournisseurs spécialisés en GPU et, si pertinent, colocation avec capacité électrique disponible. Deuxième chantier, la capacité énergétique: l’essor de l’architecture 800 VDC et du refroidissement liquide annonce une nouvelle équation capex/opex, où l’efficacité énergétique et la densité deviennent différenciantes. Troisième chantier, la réversibilité: s’assurer que l’empilement logiciel (frameworks, orchestrateurs, SDK) ne rend pas prohibitifs les basculements vers des alternatives.
Décryptage : réduire la dépendance sans ralentir le time‑to‑market
La stratégie actuelle de Nvidia ressemble à une intégration horizontale et verticale simultanée. Les investissements dans des clients phares sécurisent la demande et l’accès à la donnée d’usage, pendant que les acquisitions logicielles capturent la valeur au‑delà de la puce. L’accord de rachat de capacité inutilisée auprès d’un fournisseur cloud spécialisé réduit l’aléa d’offre et peut fluidifier l’allocation de GPU au sein de l’écosystème Nvidia, mais il interroge la neutralité d’accès pour des tiers dans les périodes de tension.
Pour une entreprise, l’objectif n’est pas de « sortir de Nvidia », mais d’éviter qu’un seul acteur ne détermine sa trajectoire de coûts et de délais. Concrètement, cela passe par des clauses d’allocations minimales de capacité, l’activation de fournisseurs de second rang et des options d’extension en priorité au-delà d’un certain seuil d’utilisation. La négociation gagne à être consolidée au niveau groupe, en agrégant matériel, logiciels et services pour obtenir des remises additionnelles sur plusieurs années. Les OEM partenaires (Dell, HPE, Lenovo) peuvent proposer des conditions de financement et de maintenance plus favorables que l’achat direct, à comparer systématiquement.
Le calendrier de déploiement de l’IA doit intégrer le risque réglementaire et géopolitique. Les enquêtes et contrôles à l’export sur les semi‑conducteurs, notamment concernant la Chine, peuvent perturber les flux et imposer des variantes matérielles moins performantes. Par ailleurs, la trajectoire d’investissement dans les datacenters reste massive. Dans un scénario de demande modérée, 5,2 billions de dollars de dépenses en capital seraient nécessaires pour l’infrastructure IA d’ici 2030, dont 60 % pour les puces et matériels, selon McKinsey . Cette pression sur l’offre électrique et la chaîne d’approvisionnement rend d’autant plus critique la planification énergétique et l’implantation multi‑région des workloads sensibles.
Côté performance/coût, ne sous‑estimez pas l’effet logiciel. Des gains à deux chiffres sont possibles en optimisant l’orchestration GPU, la taille de batch, la parallélisation et le placement réseau, surtout sur InfiniBand. Les solutions issues des acquisitions de Nvidia promettent des gains d’efficacité, mais ces briques doivent être évaluées face à des alternatives ouvertes pour éviter l’enfermement. La contribution annoncée de Vera Rubin à l’Open Compute Project va dans le sens d’une interopérabilité plus grande, à surveiller dans ses implémentations concrètes par les partenaires.
Points de vigilance pour vos contrats et déploiements
- Capacité vs disponibilité de service: distinguer SLA de service et SLA d’allocation, avec remèdes au‑delà du simple crédit.
- Clauses d’évolutivité: options fermes d’extension de capacité, priorités d’allocation en période de tension et pénalités en cas de non‑respect.
- BYOL et réversibilité: portabilité des licences Nvidia AI Enterprise et compatibilité avec clouds certifiés ou alternatifs AMD.
- Orchestration et compatibilité: dépendances aux outils d’ordonnancement (ex. Run:ai) et plan de sortie technique documenté.
- Énergie et refroidissement: coûts et délais liés au 800 VDC et au refroidissement liquide, capacités électriques disponibles par site.
- Conformité et export: impacts potentiels des contrôles à l’export et localisation des données d’entraînement sensibles.
- Approvisionnement multi‑canal: équilibre entre hyperscalers, clouds GPU spécialisés et on‑premises pour répartir le risque.
Ce que surveiller au prochain trimestre
Les premiers jalons d’infrastructure liés au partenariat OpenAI–Nvidia donneront le ton des délais de livraison et de la priorisation de capacité. La matérialisation des 6 GW AMD chez OpenAI est un test intéressant pour la compétitivité prix/performance perçue hors Nvidia. Côté entreprise, l’évolution des SLAs et la généralisation de clauses d’allocation minimum seront les indicateurs d’un marché qui passe de la simple disponibilité de service à une économie de la capacité garantie.
Enfin, gardez un œil sur la normalisation d’architecture. Si le rack Vera Rubin devient un standard de fait, la compatibilité ascendante et le support multi‑fournisseurs seront déterminants pour la réversibilité. À l’inverse, des implémentations trop spécifiques peuvent recréer du verrouillage au niveau du datacenter.
En synthèse opérationnelle
Nvidia redessine la carte de l’IA en liant capital, silicium et logiciels, ce qui impacte directement vos coûts et vos délais. La bonne réponse n’est ni tout cloud ni tout on‑premises, mais un sourcing hybride et multi‑fournisseurs, encadré par des clauses d’allocation ferme. Faites de la réversibilité un livrable du projet IA, pas une option, et alignez vos choix d’infrastructure sur une trajectoire énergétique réaliste.